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L’auteur de ce livre très personnel, riche en contenu et provocant de ton, a enseigné à l’École de la Bundeswehr, puis produit des films et des émissions de télévision. Il a été l’élève du professeur de Hambourg Fritz Fischer, dont les ouvrages sur les buts de guerre allemands en 1914, Griff
nach der Weltmacht et Krieg der Illusionen, ont suscité il y a quarante ans une âpre « Querelle des…mehr245
L’auteur de ce livre très personnel, riche en contenu et provocant de ton, a enseigné à l’École de la Bundeswehr, puis produit des films et des émissions de télévision. Il a été l’élève du professeur de Hambourg Fritz Fischer, dont les ouvrages sur les buts de guerre allemands en 1914, Griff nach der Weltmacht et Krieg der Illusionen, ont suscité il y a quarante ans une âpre « Querelle des historiens », avant celle des années 1980 sur les origines du national-socialisme. Dans cette revue (RH, 228, 1962 et 245, 1971), le plus grand expert français, Pierre Renouvin, salua « une œuvre sincère, souvent pénétrante », appuyée sur des documents, tout en marquant quelques réserves sur son esprit de système. Jacques Droz dressa aussi un précieux bilan de la controverse (Les causes de la Première Guerre mondiale. Essai d’historiographie, Paris, Le Seuil, 1973). Aujourd’hui, tout en ayant pris quelques distances envers son maître, Bernd Schulte ranime la controverse, en regroupant des textes divers, issus en général de sa plume.
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La démarche est souvent déconcertante. Un même développement est donné deux fois, en allemand puis en anglais (avec des compléments), et certaines affirmations sont répétées en surabondance. Bien d’autres, en revanche, restent trop allusives, laissant sur sa faim le lecteur étranger. Par ailleurs, il s’agit d’un ouvrage de combat, très agressif contre « l’historiographie officieuse », contre « la phalange de la corporation ». Sous ces fortes réserves, on peut apprécier une collecte intéressante de citations, extraites en particulier des correspondances entre universitaires, accessibles aux Archives fédérales dans leurs fonds individuels (Nachlässe).
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Le morceau de résistance est consacré à un document projeté au cœur du débat, le Journal de Kurt Riezler. Cet intellectuel fut à la veille de la Grande Guerre le confident journalier du chancelier Bethmann-Hollweg et nota fidèlement les réflexions de celui-ci. Il enseigna ensuite en Université, émigra aux États-Unis sous le nazisme, car sa femme était juive, et revint en Europe après 1945. Le président fédéral Theodor Heuss, qui avait été son camarade d’études, estimait fort « son esprit pénétrant, avec tous les traits bouffons qu’il cultivait d’autre part ». Kurt Riezler conservait ses carnets manuscrits, en hésitant à les publier. Après sa mort à Munich en 1955, sa famille les confia au Pr Karl Dietrich Erdmann, de Kiel, qui les édita en 1972. Bethmann-Hollweg, responsable lucide, quoique hésitant sous les pressions qu’il subit, y apparaît certes comme un haut fonctionnaire dévoué à son empereur, comme un patriote attaché à la grandeur de l’Allemagne, mais non comme le champion de l’impérialisme brossé par Fritz Fischer. Ce document est précieux, car les papiers personnels du chancelier ont été détruits avec son château de Hohenfinow. Cependant, il y manque le carnet XXX (fin juillet 1914), qui a disparu dans des conditions mystérieuses. Or des initiés, qui l’avaient vu du vivant de Riezler, ont affirmé qu’il contenait au moment décisif « des déclarations belliqueuses » (kriegslustige Ausseerungen), surtout vis-à-vis de la Russie (p. 67). Gerhard Ritter, le grand spécialiste, mis au courant, a sursauté et s’est interrogé sur « ce sombre secret », sur ce « secret d’État » (p. 67-10).
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Cela conduit Bernd Schulte à dénoncer sans ambages une « falsification », visant à forger une arme contre Fischer. Pour lui, les historiens les plus en vue ont constitué une coalition antirévisionniste, afin de sauvegarder l’honneur de l’Allemagne éternelle. Les plus âgés avaient combattu pour leur patrie pendant la Première Guerre mondiale ; les plus jeunes, pendant la Seconde. Ils ont réagi parallèlement, à un moment où la nouvelle Allemagne démocratique ne voulait pas se voir imputer un penchant séculaire à l’impérialisme conquérant. [...]
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Pierre BARRAL.
Revue historique, 2005/1 (n° 633)